La gratuité dans les transports en commun en IdF semble insoutenable

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Elle n’entraînerait qu’une baisse de 2 % du trafic automobile – et donc, une réduction minime de la pollution de l’air – et se traduirait par une hausse de 6 à 10 % de la fréquentation dans les transports collectifs (TC), dont un peu moins de la moitié des usagers proviendraient des modes actifs. La gratuité des TC en Ile-de-France semble compromise au regard des premières conclusions de l’étude menée sur sa faisabilité. Jacques Rapoport, ancien président de SCNF Réseau et président du comité dédié et installé par Valérie Pécresse, présidente d’Ile-de-France Mobilités, a balayé d’un revers de main, le 2 octobre, à l’occasion d’une présentation presse, l’une des mesures récemment instillées par la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo. 

"La gratuité des transports en commun, une idée attractive", certes, mais "qui ne répondra pas aux défis" – environnemental, social et financier – et pourrait même "en aggraver certains", affirme Jacques Rapoport. Constat partagé par "les huit membres du comité". Les "experts indépendants" (du monde académique, opérationnel et associatif) et mobilisés à l’occasion de cette étude "sont entrés dans le débat sans préjugé" ; même "si nous avions chacun nos intuitions", ajoute Valérie Pécresse. "Le sujet est sur la table ; il fait partie du débat public", lance Jacques Rapoport. Les travaux, étalés sur ces six derniers mois, ont été menés sous trois axes, explique ce dernier : la modélisation physique, économique et sociale, et financière ; l’audition d’une trentaine de parties prenantes, des élus aux associations ; et la réalisation d’un benchmark français et international.

Sans réels impacts

Outre les effets minimes sur le trafic automobile – sachant que "les automobilistes franciliens prennent leur voiture, non pas parce que le Pass Navigo est trop cher mais en raison d’une offre insuffisante en TC" -, la problématique de "l’équité" ne trouverait aucune réponse dans la gratuité, selon le comité. Car "en quoi la gratuité accordée à des personnes qui peuvent payer bénéficierait à celles qui ne peuvent pas", souligne Jacques Rapoport, selon qui une "tarification sociale adaptée" est plus efficace. Ile-de-France Mobilités rappelle que "des tarifs gratuits ou réduits bénéficient à près d’1,1 millions de Franciliens".

Enfin, l’équation économique semble elle aussi inenvisageable puisque "aucun dispositif" ne pourrait remplacer les 3,3 Md€ par an de recettes actuelles. En augmentant significativement le versement transport (de 3 % aujourd’hui), il y aurait "un effet récessif sur l’économie" ; les différentes taxes sur les bureaux devraient déjà être mobilisées pour le financement du Grand Paris Express (d’après le rapport de Gilles Carrez sur la soutenabilité financière de la Société du Grand Paris, cf. Urbapress n° 2078 – Gilles Carrez, qui, par ailleurs, fait partie du comité sur la gratuité) ; même l’installation d’un péage urbain "ne rapporterait que quelques centaines de millions d’euros, loin des plus de 3 Md€", précise le président. "Aucune source alternative de financement ne semble viable pour combler la perte d’un tel montant, qui représenterait une hausse de la fiscalité de 500 € en moyenne par an et par ménage francilien, alors même qu’il faut chaque année dépenser plus pour augmenter l’offre de transports afin de répondre aux besoins", appuie IdF Mobilités. 

Oui, mais pas en Ile-de-France

Si la gratuité est soutenable dans certaines villes – petites ou moyennes -, à Dunkerque par exemple, effective depuis le 1er septembre dernier (cf. Urbapress n° 2077), c’est qu’elle concerne un "système de TC peu développé et peu utilisé, un réseau de bus bien souvent", démontre Jacques Rapoport. Mais aussi que "les recettes tarifaires sont très faibles par rapport aux charges" : 10 % pour la sous-préfecture du Nord, contre 27 % en Ile-de-France ; et que le potentiel fiscal est important. Bref, "ce qui justifie la gratuité dans certaines villes n’existe pas dans la région capitale", où l’on compte 41 millions de déplacements quotidiens, dont 15,5 millions en voiture et 8,5 millions en TC. 

Dépoussiérer les politiques de transport

Ceci étant dit, Jacques Rapoport est revenu sur les "deux grands défis à relever" pour améliorer les conditions de transport des Franciliens et répondre à l’urgence sanitaire. Dans dix ou quinze ans, la "multimodalité" sera au cœur des politiques de transport, rappelle Jacques Rapoport. Politiques qui ne pourront "plus être segmentées", entrevoit-il. Ce qui suppose de revoir "l’organisation institutionnelle actuelle", d’après lui. D’abord, il s’agit de repenser le modèle dans sa globalité, modèle qui, par "une tarification faible", entraîne de la demande et donc de la saturation, des investissements publics et de la désaturation ensuite, puis une nouvelle demande, etc.

L’autre défi, "positif cette fois-ci", l’arrivée des nouvelles technologies qui "vont bousculer l’offre" des mobilités et de la tarification. En ce sens, le comité a proposé plusieurs pistes, dont une optimisation de tous les modes, dont le covoiturage, ou encore le développement des tarifications sociales. En passant à 1,8 personne par voiture en heures de pointe, contre 1,1 aujourd’hui, il n’y aurait plus de bouchons en Ile-de-France, rappelle, pour sa part, Stéphane Beaudet, vice-président d’IdF Mobilités. D’une culture de la propriété, "nous passons à celle de l’usage". La gratuité des transports collectifs, outre son intérêt "démagogique",  est un "sujet profond, riche et éminemment complexe".

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