FPU 2018 : le projet urbain d'aujourd'hui est à effet papillon

Projets urbains
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La ville pour tous est aussi la ville par tous, dans un territoire des liens, qui regarde sa périphérie – tantôt urbaine, tantôt rurale -, sollicite ses habitants, et respecte son paysage, redevenu l’autre autorité du projet urbain. Le tout formant un maillage d’usages et de fonctionnalités, de besoins et de services, d’enjeux aussi. Le bonheur des uns devant faire le bonheur des autres.
Parmi la cinquantaine d’opérations présentées à l’occasion de la 18e édition du Forum des projets urbains, le 13 novembre, au palais des Congrès de Paris (organisé par le groupe Innovapresse, éditeur d’Urbapress), nombreuses sont celles qui rayonnent au-delà de leur seul périmètre d’intervention. Démonstrations. 

Le territoire qui inspire

S’appuyer sur les richesses des Landes de Gascogne – la terre et la forêt – pour recomposer le centre-ville de Biganos. Afin de répondre aux besoins d’une ville morcelée – développer une nouvelle qualité de vie, offrir des logements mixtes, renforcer l’attractivité touristique et commerciale – Aquitanis, concessionnaire-aménageur de la ZAC (14,5 ha), s’est entouré de 2pm Architecture, entre autres, pour réinterroger le projet. "Une question est ressortie rapidement, celle de la matérialité", inspirée par les matériaux biosourcés locaux – terre crue, bois et fibres végétales – et l’architecture vernaculaire qu’ils accordent, comme un hommage à la géo-histoire du lieu, explique John Stritt, chef de projet aménagement chez Aquitanis. En réponse, "une écrite régionaliste, analogue", poursuit Paul Rolland, de l’agence 2pm Architecture, pour "inscrire des codes historiques dans une continuité contemporaine".
"On sait construire un bâtiment en terre crue", affirme le duo. Qu’en est-il d’un quartier ? La ZAC fait de Biganos un laboratoire d’expérimentation architecturale et urbaine en développant des systèmes de préindustrialisation ou en challengeant les protocoles techniques et réglementaires à l’échelle d’un projet urbain. Elle est aussi un prétexte pour redorer une filiale à haute valeur économique sur tout le territoire. "On aimerait construire 850 logements en terre crue. On n’y arrivera sûrement pas, mais on fera le maximum", assure Paul Rolland.
La ZAC est entrée en phase opérationnelle cette année. Une maison des chantiers rend compte des possibilités constructives offertes par les ressources et savoir-faire locaux.

La ville des usages se discute

Expérimenter de nouvelles façons de produire la ville avec les habitants, en imaginant notamment des formes d’aménagement transitoire. C’est en substance l’objectif d’Ilotopia, démarche de concertation initiée par la Samoa, aménageur de l’île de Nantes, qui s’est entourée de l’agence What time Is I.T. Son directeur, Stéphane Juguet, explique qu’une méthode "sur mesure", élaborée en rapport avec les caractéristiques du quartier, a ainsi été mise en place. L’équipe, qui a placé "les imaginaires au cœur des pratiques", s’est affranchie des "discours incantatoires" pour élaborer "trois prototypes" d’initiatives, autour de la rue Besse, "la colonne vertébrale", alors confiée à des street artistes. Ou le "square à poubelles", refait en une semaine par les riverains, un projet "rotule", réalisé rapidement pour que ces derniers prennent vite conscience qu’ils sont au cœur de la mutation. Puis, la place Wattignies, que les habitants ont pu se réapproprier, avec un bus mis à leur disposition, s’est apaisée.
L’objectif ? Réaliser, à partir de ces démarches co-construites, un retour sur les usages, et alimenter, in fine, les réflexions et futures conceptions.

Dans la cité des Ducs toujours, Nantes Métropole Aménagement veut faire du site de la caserne Mellinet un exemple en matière de co-construction. L’objectif étant de désenclaver ce quartier militaire, composé de 80 bâtiments, dont 20 seront conservés, et d’en faire un ensemble de 1 700 logements. "L’enclavement de cette caserne et sa relation complexe au voisinage font la particularité de ce projet", résume David Blondeau, responsable d’opérations pour Nantes Métropole Aménagement (propriétaire du terrain). Les porteurs de l’opération ont donc misé sur un "dialogue citoyen" avec les habitants du quartier. "Au début, les échanges ont été vifs", reconnaît Stéphane Pourrier, architecte-urbaniste de TGTFP. Des ateliers ont ainsi été organisés. "Cela permet à tout le monde de comprendre qu’il n’est jamais simple de fabriquer la ville". Au sein de ce futur quartier, des équipements publics sont prévus (8 000 m2), des activités économiques également (12 000 m2).

Mérignac Soleil est l’archétype du centre commercial des années 60. Imperméabilisé à plus de 80 %, c’est un des principaux îlots de chaleur de la métropole bordelaise. Mais c’est aussi l’un des sites majeurs du programme "50 000 logements autour des axes de transports collectifs", desservi par le tramway en 2021. "Aujourd’hui entouré par la ville (essentiellement du pavillonnaire), il ne peut plus s’étendre", indique Alexis Gante, directeur de projet de La Fab, SPL titulaire d’une concession d’aménagement. Le projet "Habiter Mérignac Soleil", conçu par un groupement mené par OMA, prévoit donc une "oasis urbaine" : "renaturer le site et y intégrer de nouvelles typologies d’habitat et de commerces, créer des îlots hybrides avec logements (2 800 au total), quelques bureaux et des commerces en rez-de-chaussée, un parc, des places, et s’appuyer sur une nouvelle échelle, celle de la 'voisinée’…", décrit Mathieu Mercuriali d’OMA. Pour Alexis Gante, les enjeux sont lourds : "nous serons très attendus sur la qualité des espaces publics ; il nous faudra gérer les interfaces entre le déjà-là et les premiers programmes livrés, et être en permanence à l’écoute des acteurs pour le phasage".

Grosse couture en site dense

Depuis 1910, le site de Vaugirard, à Paris 15e, accueille des ateliers de maintenance de la RATP, sur près de 2,3 hectares. Le projet d’aménagement a été déclenché par le besoin du groupe RATP "d’assurer des activités dans le centre de Paris et de répondre aux besoins urbains de la ville, sans friches ni fonciers disponibles", explique Céline Tignol, chargée de la stratégie immobilière et des filiales de la Régie. L’aménagement du site, "extrêmement peu percé par la voie publique", dixit l’architecte du projet, Dominique Lyon, s’organise en deux grandes étapes : la réalisation de l’AME (Atelier de maintenance des équipements, 12 000 m2) et de programmes immobiliers de logements complémentaires (18 000 m2), à moyen terme, "dans un site urbain dense, avec de fortes contraintes de réalisation, en étroite concertation avec les riverains pour limiter les nuisances". La deuxième phase concernera la modernisation de l’Atelier de maintenance des trains (AMT, 9 000 m2) avec la réalisation de programmes immobiliers de logements complémentaires (10 000 m2). Le démarrage des travaux est prévu d’ici la fin d’année 2018.

Angers Cœur de Maine est un "projet urbain protéiforme", selon Angers Loire Territoire, la SPL en charge de mener cette opération multi-site. La couverture des voies sur berges, ancienne autoroute devenue route départementale mais restée très fréquentée, est en cours, à l’endroit le plus proche du centre-ville. Une esplanade verra prochainement le jour, offrant sept hectares d’espaces publics reliant la rivière au centre historique. Toujours en bord de Maine, mais en lisière de ville, le quartier Saint-Serge, longtemps zone d’activité, va gagner en urbanité et en mixité, tout en continuant d’accueillir des entreprises. Enfin, trois fonciers proches de la rivière ont été intégrés à "Imagine Angers", appel à projets sur le modèle de Réinventer Paris, manière d’aller vite sur des sites qui n’avaient pas forcément de destination pré-établie, mais aussi de "faire passer le message qu’Angers accueille l’innovation à bras ouverts", explique Angers Loire Métropole.

► Zoom sur…. Nemours

A Nemours, troisième ville la plus pauvre de Seine-et-Marne, l’opération cœur de quartier parachève le programme de renouvellement urbain du Mont Saint-Martin enclenché en 2012 dans le cadre d’une convention Anru. "Un PRU qui démolit peu", souligne Philippe Sans, architecte (BécardMap). 2 000 logements, minés par une architecture monotone et vieillissante, ont été transformés ; les deux équipements publics du quartier, un centre socio-culturel et une cuisine centrale, ont été réhabilités ; voiries et espaces publics ont été redimensionnés. Dernier acte donc, la revitalisation du centre commercial de proximité, enclavé et en perte de vitesse. Celui-ci sera déplacé et intégré en pied d’immeubles. La commercialisation des futurs logements, au-dessus, a posé des difficultés, dans un marché détendu, note la Sorgem. L’aménageur entend, par ailleurs, faciliter le transfert des commerçants, prévu entre mars et juillet prochains "à travers une importante participation de l’opération aux aménagements intérieurs". Les nouveaux locaux sont en cours de construction.
En parallèle, un programme de revitalisation du centre-ville de Nemours se prépare dans le cadre du dispositif national "Action cœur de ville", dont l’enveloppe n’est pas encore chiffrée, précise Valérie Lacroûte. Les objectifs sont multiples, explique l’ancienne maire (LR) de la commune, désormais députée, mais toujours très active localement : "il y a 200 commerces, pour un taux de vacance de 25 %". Il s’agit donc "d’accompagner les commerçants", mais aussi "de faire revenir les habitants", notamment par un "réaménagement des espaces publics". La place principale du centre doit faire l’objet d’une nette recomposition, avec, à terme, l’élue l’espère, l’installation de "cafés, restaurants, terrasses…" En outre, une étude réalisée avec l’Anah vise à dresser un état des lieux des logements du centre, et à identifier les bâtiments à traiter en priorité. Une Opah-RU court sur dix ans.
Les deux opérations de régénération commerciale, dans le centre, et au Mont Saint-Martin, ne se font pas concurrence, assure l’élue. Pas plus que la politique de renforcement menée sur les pôles commerciaux en périphérie, dont l’extension d’un Intermarché aux portes de la commune, et désormais assortie d’une galerie marchande aux enseignes nationales. Un choix assumé par la députée,  qui entend lutter contre "l’évasion commerciale" vers les grands centres de Villiers-en-Bière, Sénart ou Montereau, à une quarantaine de minutes en voiture de la commune aux 13 000 âmes. Ce qui profitera également aux commerçants du centre, défend l’élue. Nemours vise à être plus attractive en investissant notamment les bords du Loing, qui pourraient accueillir "une balade touristique, un parc sur l’île du Perthuis, un ciné-resto-bar à la place de l’ancien Moulin…". En outre, parmi les "deux ou trois projets aboutis" et inscrits dans "Cœur de ville", une "maison du vélo", afin de profiter du passage de la Scandibérique (piste cyclable qui relie l’Espagne à la Norvège) pour "ouvrir un gîte, avec des chambres à 40 € en moyenne, voire d’autres, plus haut de gamme, ainsi qu’un atelier vélo, un bar…", projette Valérie Lacroûte.

► Ailleurs :

D’une ville de province,  Bruxelles est devenue, en 15 ans, une cité internationale, "où il se passe des choses" et où 184 nationalités se côtoient, raconte le maire, Philippe Close, avant d’énumérer les enjeux que cette transformation a supposé et suppose encore. Le caractère européen a été rejeté par les Bruxellois, alors que la ville de proximité leur échappait. Alors comment retisser les liens ? "En renégociant l’espace public", et en densifiant, selon le bourgmestre. Et en misant aussi sur "les fonctions organiques de la ville", indique l’élu, qui dit se méfier du "trop de planification". Mais pas sans un dialogue avec l’habitant. Pour lui, "il est important que les villes se comportent en aménageurs, tout en coproduisant avec tous les autres acteurs".
Pour Henri Dineur, directeur général de Néo (société créée par le région et la ville de Bruxelles pour réaliser le projet éponyme de commerces, loisirs, parc des expos et logements sur le plateau du Heysel), l’urbanisme bruxellois des Trente Glorieuses a été "totalement chaotique… peu de gens ont donc pu dire qu’on allait saccager l’irremplaçable". Cette démarche de "réurbanisation" s’appuie sur le masterplan de Kees Christiaanse (KCAP), "apôtre de la densification urbaine, condition de la durabilité de l’activité humaine", selon Henri Dineur. Le postulat des porteurs du projet est que "chaque euro gagné par le foncier du site soit réinvesti sur le site". Parallèlement, de l’espace public est rendu aux piétons et mobilités douces – dans une ville où le foncier coûte très cher -, en comprimant les parkings. Le projet a été attribué à Unibail-Rodamco avec Jean-Paul Viguier à l’issue d’un processus de dialogue compétitif accompagné par un "cercle de qualité". "Un projet sécable", salue Ariella Masboungi, Grand prix de l’urbanisme 2016, "et où les bâtiments ne sont pas complètement liés à l’activité commerciale". Une réversibilité potentielle qui se retrouve dans "Néo II" (congrès et hôtellerie), et qui a été déterminante dans le choix de la proposition de Jean Nouvel (pour CFE/Cofinimmo).

Dossier réalisé par Julie Snasli, Bruno Poulard, Benoît Léger, Basile Delacorne, Nora Hachache et Marie-Christine Vatov

♦ Retrouvez tous les projets présentés lors du Forum des projets urbains 2018 sur : www.projetsurbains.com

 

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Traits Urbains n°130/131 vient de paraître !

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