Directrice des études chez Cushman & Wakefield, Magali Marton évoque les possibles impacts du Covid-19 à court et moyen termes sur l’immobilier d’entreprise, "Si le confinement dure, que l’économie se dégrade plus encore, cela pourrait encore évoluer…", dit-elle. Entretien.
En quoi le Covid-19 affecte-t-il les activités de Cushman & Wakefield et le monde de l’immobilier ?
Nous observons une vitrification de l’économie actuelle. Globalement, l’intégralité du monde de l’entreprise est sous le choc, tant les propriétaires que les locataires-utilisateurs. La priorité n°1 ? Trouver au plus vite les conditions d’une activité la plus normale possible dans un monde qui ne l’est pas, c’est-à-dire organiser le travail à distance, mettre en sécurité les collaborateurs, etc. Aujourd’hui, après deux semaines de confinement, nous passons à une autre phase, tentons de juger les conséquences de la pandémie sur l’immobilier, qui est étroitement lié à la santé financière des entreprises…
Des entreprises qui vont, pour certaines, être aidées…
Par le gouvernement, oui, notamment pour éviter les défaillances. A ce jour, je suis frappée par une certaine distorsion de moyens mis en place par la France et par l’Allemagne, notamment. Voilà pourquoi, selon moi, on peut s’attendre à un autre package de mesures dans les semaines à venir pour tenir compte de la probable dégradation de l’économie. Quoi qu’il en soit, ici et là, nous lisons des déclarations d’associations ou de fédérations de bailleurs, mais également d’investisseurs : un dialogue va s’instaurer, dans une logique de recherche de solutions, en marge du traitement légal et réglementaire de cette situation littéralement extra-ordinaire.
Cette pandémie aura forcément un impact sur la demande placée, non ?
Avant même le coronavirus, sur le segment des bureaux en Ile-de-France, le début de l’exercice 2020 était plutôt lent, les résultats Immostat qui seront communiqués la semaine prochaine, en attesteront vraisemblablement. Sur le marché locatif, les prises de décision sont plus longues car le sujet immobilier n’est pas prioritaire. Les acteurs économiques sont davantage concentrés sur les mesures opérationnelles. Reste également à définir ce que va structurellement changer cette crise – qui, rappelons-le, n’est pas financière – en termes de demande des entreprises. Voilà pourquoi, dans une logique de mesure de précaution, les projections sont moins élevées qu’à l’accoutumée. Si le confinement dure, que l’économie se dégrade plus encore, cela pourrait encore évoluer…
Qu’en est-il en matière de loyers ?
Il est compliqué d’avoir une lecture simple de la situation. La croissance des loyers est aujourd’hui plutôt écartée : à court terme, une certaine stabilité devrait prédominer pour les marchés d’ores et déjà tendus en termes d’offres. Maintenant, à court et moyen termes, la segmentation pourrait être encore plus forte entre les actifs. Les biens de qualité, idéalement positionnés, qui offrent une promesse servicielle de premier ordre, seront à coup sûr valorisés. Les preneurs vont certainement viser au plus juste dans l’expression de leurs besoins. Se posera alors la question de la flexibilité quand l’économie repartira. Ce qui pourrait profiter aux espaces de coworking, notamment.
Et laisser la part belle au télétravail ?
Il faut arrêter de se cacher derrière une vision distordue de la réalité. L’immeuble de bureau de demain ne sera plus le même. Le télétravail ? Tout le monde en parlait. Aujourd’hui, c’est un test grandeur nature, qui achève de lever certaines barrières psychologiques. Et cela devient une option plus que crédible, surtout si une réflexion sur l’accompagnement technologique est menée pour que l’expérience soit la plus confortable possible. La statistique sur le taux d’occupation au sein des immeubles de bureaux, estimée à 60 %, nous interroge également : aujourd’hui, investisseurs et utilisateurs doivent plus que jamais s’attarder sur la vie au sein même de leurs actifs. S’ils parviennent à garantir une certaine qualité d’interactions, ils gagneront leur pari.
A quoi faut-il s’attendre sur le marché de l’investissement ?
Il est aujourd’hui relativement compliqué d’initier de nouveaux sujets, même si les investisseurs poursuivent leur travail. Certains d’entre eux ont tout de même levé leur stylo. Les étrangers ? En ces périodes troubles, ceux qui n’ont pas d’équipes intégrées en France ont tendance à privilégier leur marché domestique. Mais la plupart restent attentifs. Il y aura de bonnes affaires à réaliser.
C’est-à-dire ?
Des deals ne se feront pas parfois pour cause de défaut de financement : charge aux investisseurs qui ont du cash d’en profiter. Certains pourraient revoir leur stratégie d’allocation et, ainsi, procéder à quelques cesssions, ce qui pourrait alimenter le marché.
Dans ce contexte, quels sont les segments qui pourraient tirer leur épingle du jeu ?
La diversification devrait être privilégiée. Beaucoup feront travailler leurs équipes sur la logistique, le résidentiel, qui sortira grandi de cette épreuve, à l’instar des résidences services, seniors entre autres. Les opérateurs de santé devront, quant à eux, mener une grande réflexion sur les risques opérationnels de leurs activités. Par ailleurs, cette pandémie met un coup de projecteur sur les acteurs de la supply chain : l’immobilier doit les accompagner, notamment dans la réinvention de la logistique urbaine, qui est dorénavant primordiale.
Quid de l’hôtellerie ?
Le secteur s’en sortira car le confinement va bien s’arrêter un jour ou l’autre. Reste à savoir quelle est la capacité des entreprises à passer le cap de cette crise écononomique, dont la durée n’est à ce jour pas connue. Un retour à la normale passera d’abord par la clientèle domestique, puis via le tourisme d’affaires. Le modèle de l’hôtellerie n’est pas en péril. Pour les commerces, la situation est différente en ce sens qu’elle survient sur un terrain déjà fragilisé par l’épisode des gilets jaunes ou celui des grèves contre la réforme des retraites.
Beaucoup se plaisent à comparer les crises : est-ce utile selon vous ?
En 1990, nous avons fait face à un choc de l’offre ; en 2001, à un choc de la demande ; en 2008, à une crise financière ; en 2020, à une crise sanitaire, la première de l’époque moderne. Bref, à chaque crise, ses causes et ses conséquences. L’après sera accompagné d’un changement structurel. Personnellement, je doute du scénario en V – je ne m’attends pas à un rebond aussi fort – mais privilégie plutôt un scénario en W, même si cela n’engage que moi. Suis-je inquiète ? Non car l’immobilier est une composante de la vie, qui ne s’arrêtera pas. En écho de la société, l’immobilier poursuivra sa révolution.
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