Baisse des aides au logement : malgré la polémique, le gouvernement reste inflexible

Dans les tuyaux depuis le discours de politique générale du Premier ministre Edouard Philippe, le 4 juillet dernier (cf CdL n°816), et lors d'une audition le 12 juillet de Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, et de Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, par la commission des Finances de l'Assemblée nationale, les aides au logement vont bien subir un coup de rabot sur l'autel des restrictions budgétaires.

Le gouvernement a décidé de baisser, dès le 1er octobre, de cinq euros par mois et par foyer les aides au logement qui se décomposent en trois types d'allocations : l'aide personnalisée au logement (APL), qui bénéficie à 2,6 millions de personnes, notamment à près de 800 000 étudiants, l'allocation de logement familiale (ALF) et l'allocation de logement sociale (ALS), qui sont versées à 3,9 millions de personnes. Au total, elles coûtent environ 18 Md€ par an au budget de l'Etat, soit 81,1 % de l’ensemble des aides aux consommateurs ; 45,1 % sont distribuées au titre de l’APL, 25 % au titre de l’ALF et 29,9 % au titre de l'ALS. Une baisse de ces aides de cinq euros par mois et par ménage représenterait ainsi une économie mensuelle de 32,5 M€, soit 97,5 M€ sur les trois derniers mois de l'année en cours. Une mesure qui pourrait ainsi rapporter 400 M€ en 2018 sur les 4,5 Md€ de déficit que cherche à combler le gouvernement.

Et l'ISF alors ?

Le délégué général de la fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, a été l'un des premiers à réagir en demandant à être reçu par le gouvernement. "On voudrait pouvoir discuter des raisons de ce choix qui nous paraît assez étrange. On a déjà rencontré le gouvernement à plusieurs reprises mais voir annoncer une baisse des aides au logement qui ciblent vraiment les ménages les plus modestes, les plus pauvres, nous semble être un signe assez préoccupant", a-t-il déclaré à l'Agence France-Presse.

Louis Gallois, le président de la Fédération des acteurs de la solidarité (Fnars), qui regroupe 850 associations et organismes d’aide aux plus démunis, estime, dans un entretien au Monde, que cette mesure est "aveugle et frappe en premier lieu les plus pauvres". Il "ne peut pas ne pas faire le rapprochement avec d’autres mesures annoncées, comme celle de réduire l’impôt sur la fortune (ISF), qui va coûter plusieurs milliards d’euros. Cela est peut-être justifié dans le but de stimuler le dynamisme économique, mais il faut une politique équilibrée".

Un rapprochement que certains n'hésitent pas à faire. Stéphane Peu, député de la deuxième circonscription de Seine-Saint-Denis, dénonce une mesure "injuste et arbitraire" qui confirme "le souhait d'Emmanuel Macron d'une politique au service des puissants : la baisse des APL, principale mesure d'aide au logement de plus de six millions de familles, ne rapportera que 400 M€ aux caisses de l'Etat alors que celle de l'ISF bénéficiera uniquement aux plus aisés et nous coûtera 3 Md€".

Pour Michel Fréchet, président de la CGL, "c’est l’ensemble des allocataires qui paye la gabegie de l’Etat". Dans un pays où "les inégalités ne cessent de se creuser, où 50 % des plus pauvres ne possèdent que 8 % du patrimoine et le 1 % des plus riches en possède 17 %, ne devrait-on pas répartir équitablement les efforts d’économie ?" . Michel Fréchet trouve le pays "très loin d’une politique de justice sociale, alors qu’est confirmée la suppression de l’ISF sur les revenus du capital".

Il est pour la CLCV "scandaleux d’aborder la question des économies budgétaires en s’attaquant aux populations les plus modestes". Pour l'association, c’est "sans aucun doute la première attaque sur les revenus des plus modestes, qui annonce la non indexation des aides au logement pour 2018". En effet, de par la loi, "ces aides doivent être revalorisées en fonction de l’évolution de l'indice de référence des loyers (IRL)". A défaut, la CLCV "attend du gouvernement un gel des loyers pour l’année à venir".

Géraud Dévolvé, délégué général de l'Unis, suggère de "prendre un peu de hauteur en réfléchissant de manière plus globale" face aux nombreuses réactions que suscitent cette mesure. Même si le gouvernement "a été maladroit dans sa communication", selon lui, l'idée de baisser les aides au logement ne lui paraît pas totalement incongrue dans cette période de déficit budgétaire. "Tout le monde doit faire des efforts : les bailleurs en ont fait, l'Etat aussi, au tour des citoyens", indique Géraud Dévolvé. Néanmoins, ce dernier juge que cette mesure "devrait être appliquée avec parcimonie et non pas à tous les bénéficiaires, surtout ceux qui sont dans le besoin". Face au constat que 70 % des locataires du parc privé sont éligibles au parc social, l'Union des syndicats de l'immobilier pense également qu'en reconnaissant "le rôle social du bailleur privé géré par un professionnel, les différences entre secteur public et secteur privé et entre le neuf et l'existant seront gommées".

Polémique au sein de la classe politique

Un coup de rabot que l’exécutif justifie par la nécessité de contenir le déficit budgétaire en faisant porter le chapeau de cette mesure impopulaire à ses prédécesseurs. "Le projet de loi de finances 2017 avait été sous-doté […]. Le précédent gouvernement avait prévu, sans l’annoncer, une baisse du montant de ces aides de 140 M€ dans le budget. Sauf qu’ils nous ont laissés la faire", a expliqué dimanche 23 juillet, dans le Parisien, le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, chargé de ce dossier. Une version qu'avait déjà contesté l’ex-ministre du Logement Emmanuelle Cosse auprès de LCI, samedi 22 juillet, après les propos de Gérald Darmanin : "il raconte n’importe quoi et ça suffit que monsieur Darmanin essaie toujours de trouver des cache-sexes pour défendre des mesures d’économies". Christian Eckert, secrétaire d’Etat au Budget sous François Hollande, a confirmé ces dires dans le JJD : "nous ne l’avons jamais envisagé, je suis formel. Elle ne nous semblait pas juste".

Pourtant, BFMTV a sorti de son chapeau une lettre datée du 25 juillet 2016, provenant de Matignon, à l'époque dirigé par Manuel Valls, qui s'adresse à Emmanuelle Cosse, alors ministre du Logement. Le contenu politique du texte est très clair : "Il est écrit noir sur blanc qu’il s’agit de trouver une baisse de cette dépense d’APL d’un montant de 156 M€ sans remise en cause des conditions d’attribution. Et ça veut dire qu’en fait Matignon demande au ministère du Logement de baisser de façon globale ces APL", analyse Damien Fleurot, rédacteur en chef adjoint de BFMTV. La polémique ne semble pas terminée, même si Jacques Mézard a réaffirmé la volonté du gouvernement Philippe "de ne pas reculer", sur RTL, mardi 25 juillet. "Nous devons engager une réforme globale des aides personnelles au logement", a jugé Jacques Mézard.