Contournement est de Rouen : 40 km, un milliard d'euros et quelques inconnues

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C’est l’un des seuls projets routiers d’envergure considérés comme prioritaires par le Conseil d’orientation des infrastructures, qui a rendu son rapport le 1er février dernier (cf. Urbapress n° 2054). Le contournement est de Rouen, projet de quelque 40 km, est évalué à environ 1 Md€, dont la moitié de fonds publics, le reste étant à la charge du concessionnaire, en contrepartie de quoi la section serait à péage. Ce dossier, vieux de 40 ans, connaît, comme tous les grands projets, autant de fervents défenseurs que d’opposant résolus. Mais ses avantages espérés dépasseraient-ils ses inconvénients attendus ? 

Contournement est de Rouen ou pas ? Liaison A28-A13, ou pas ? Dans un monde idéal, le choix de construire une nouvelle route ne répondrait qu’à des enjeux de déplacement et environnementaux. Mais c’est en politiciens et financiers qu’Emmanuel Macron et Edouard Philippe se préparent à arbitrer cet interminable projet d’autoroute payante, un œil sur les comptes de l’Etat, l’autre à soupeser un quelconque profit électoral en Normandie, le tout en se demandant si des "zadistes" ne viendraient pas tenter de rejouer Notre-Dame-des-Landes dans le Vexin normand.

Tout ceci occulterait presque le fond du problème : la congestion de la cuvette rouennaise, soumise aux embouteillages comme toutes les agglomérations de cette taille. La réponse, nous disent la Dreal (Direction régionale de l’équipement, de l’aménagement et du logement), maître d’ouvrage, le Grand port maritime de Rouen (GPMR), la Chambre de commerce, les transporteurs et tout un arc politique rassemblant la droite, les socialistes et les macronistes, consiste bien sûr en un périphérique digne de ce nom. Rouen, comme il est de coutume de le rappeler, reste une des rares cités françaises à ne pas en disposer. "Ce projet doit permettre de désengorger les axes routiers aujourd’hui saturés convergeant vers Rouen depuis les plateaux est et depuis l’agglomération Seine-Eure". Tel a été le message martelé lors de l’enquête publique menée entre mai et juillet 2016. "Doit permettre" ? Pourquoi ce prudent conditionnel ? A 1 Md€ au bas mot, mieux vaut être sûr de son coup. Mais la réalité, ou plutôt la perspective en matière de désengorgement routier, répond à une telle panoplie de variables et d’hypothèses que la nuance s’avère de rigueur.

Ces autoroutes (l’A133 et une bretelle de liaison, l’A134), joueraient-elles bien le rôle que lui prédisent ses promoteurs ? Il faudrait pour cela que de nombreux habitants et travailleurs de la métropole empruntent ce contournement payant au quotidien, mais aussi que les camions en transit soient envoyés sur la nouvelle infrastructure. Entre l’avis positif de la commission d’enquête publique, rendu en septembre 2016, celui du Commissariat général à l’investissement et enfin la récente Déclaration d’utilité publique prononcée par le gouvernement en novembre dernier, toutes les autorités appelées pour l’instant à s’exprimer sur le dossier ont dit banco. Globalement du moins, car d’importantes réserves furent émises par certains. "Nos estimations sont les plus fiables possible", indique le directeur de la Dreal, Patrick Berg, qui a piloté l’élaboration du projet. Cependant, "ce ne sera pas forcément à infrastructures constantes", poursuit-il prudemment. "La réduction des bouchons aura aussi comme source l’accroissement de l’offre de transports collectifs, avec la même importance. L’un ne va pas sans l’autre".

Déchargements de véhicules inférieurs à 5 % du trafic

C’est le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) qui a rédigé les études de trafic et l’évaluation socio-économique du projet, en 2014. Un exercice mathématique de probabilités aussi complexe – le Cerema s’octroyant d’ailleurs une marge d’erreur de 10 % – que crucial. Notamment car ce n’est pas la situation actuelle qui se trouve comparée à celle entrevue demain avec le contournement, mais bien deux projections mises côte à côte. Le Cerema a conclu que les trafics estimés sur les deux futures autoroutes seraient compris, selon les sections, entre 19 950 et 29 550 véhicules, dont 10 à 30 % de poids lourds. 

Le Commissariat général à l’investissement, qui s’est penché sur cette étude de trafic fin 2015, a accordé un avis positif au projet dans son ensemble, mais a émis un bémol dans sa contre-expertise, rendue début 2016. "La décongestion du centre est moins marquée qu’attendue dans les simulations du fait de modifications des destinations", écrivaient alors les experts de cet organisme institutionnel placé sous l’autorité du Premier ministre, rejoints sur ce point par l’Autorité environnementale, qui pointait, en février 2016, le fait que "les déchargements de véhicules légers sont presque partout inférieurs à 5 % du trafic et à 2 000 véhicules par jour".

Flou sur le prix du péage

Enfin, faute de financements publics disponibles, le principe d’une mise en concession de l’ouvrage fut gravé dans le marbre à l’occasion de la concertation publique menée en 2014. Or le prix du péage a de fortes chances d’influencer la fréquentation de la section d’autoroute. Mais il demeure inconnu à ce jour car il appartiendra au concessionnaire choisi de le déterminer. Lors de l’évaluation socio-économique du projet, une référence de base a été fixée : dix centimes d’euros au kilomètre pour les voitures, 30 pour les camions. Réaliste ? Face au coût de construction élevé, environ 21 M€ le kilomètre, soit largement au-dessus du prix moyen observé en France (6,2 M€), il est légitime d’en douter. Dans son rapport, début 2016, l’Autorité environnementale mettait d’ailleurs les pieds dans le plat en rappelant que "les trafics à attendre dépendent du niveau de péage fixé, ce qui justifie l’importance que celui-ci soit relativement bien connu, et affiché de manière transparente". Ce n’était pas le cas lors de l’enquête publique.

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